THEATRE LOUIS RICHARD
Direction : Alain GUILLEMIN
26 rue du Château, 59100 ROUBAIX
Tél.: 03 20 73 10 10, Fax : 03 20 73 77 60
Site internet : http://www.theatre-louis-richard.com

PROJET DE CRÉATION
à l’occasion de la commémoration de la naissance de George Sand


Prochaines représentations :

  • Théâtre Louis Richard à Roubaix : le vendredi 20 février 2004 à 20h30
  • Centre Culturel George Sand à Saint Léger du Bourg Denis (76) : le samedi 3 avril 2004 à 21h

Extrait de La Voix du Nord du 5 août 2003

[…] Andrée Leroux et Alain Guillemin ont remonté le temps, aidés pour l’écriture par Blaise Charlet. Pour recréer l’atmosphère […], chaque détail a été minutieusement respecté : les extraits du texte, les décors comme la reproduction du Castelet, les costumes identiques finement confectionnés, les personnages célèbres et nombreux sculptés, dont trente marionnettes représentatives de toutes les catégories sociales. Sept représentent entre autres Flaubert, Delacroix ou Chopin. Ce spectacle aura pour but de redonner sa véritable place à George Sand au milieu des grandes caricatures animées : écrivains, peintres, musiciens qui l’entourèrent recréent l’ambiance des salons et font revivre les débats de l’époque. Rendez-vous en janvier pour cette fresque au Théâtre Louis Richard qui fait de la marionnette un art noble et beau.
Isabelle Dumoulin (CLP)


MASQUES ET BURATTINI

Le Théâtre Louis Richard, dans son action pour la promotion de la marionnette et son affirmation comme art majeur, ne pouvait pas laisser passer l’occasion, en 2004, de créer un spectacle autour de la passion partagée par George et Maurice Sand pour les “burattini”. Le spectacle que le TLR réalise montrera, en reproduisant fidèlement le travail de création de Maurice Sand, son activité minutieuse, inventive et talentueuse. En s’inspirant tout spécialement des écrits de George Sand sur la marionnette et particulièrement de L’homme de neige, “Masques et burattini” permettra de situer la place étonnante d’une forme artistique dans les oeuvres de la mère et du fils et dans leurs relations.

Le projet prévoit de réaliser de parfaites copies des marionnettes et des décors de Maurice Sand. Comédien, comédiens masqués et marionnettes de mousse (du type des Guignols de l’info), autour ou à l’intérieur des castelets, viendront, dans l’ambiance artistique de Nohant, révéler le sens du jeu des burattini autour de Maurice Sand, de son entourage, avec la présence d’une ombre projetée, celle de George Sand.

En 1887 George Sand est morte il y a plus de 10 ans, Maurice Sand est toujours profondément éprouvé par cette disparition. En 1886, il a créé, à Paris, Balandard aux Enfers. La pièce publiée est un texte, figé, mort, comme une marionnette inanimée est un objet sans vie. Le marionnettiste, marionnette en mains, masqué par le castelet va vivre.

Comme Christian Waldo, héros du roman de George Sand L’homme de neige, le marionnettiste masqué est en quête de lui-même, du sens de sa vie et ses burattini, ses marionnettes à gaine, viennent éclairer, projeter des manifestations profondes de son esprit. George Sand, à la veille de sa mort, en décrivant Le théâtre des marionnettes de Nohant a donné de Maurice une image bien différente de celle du dilettante qu’on lui a généralement attribuée. Marionnettiste, à la fois artisan méticuleux, inventif, travailleur, bricoleur de génie qui monte une lanterne magique sur un tournebroche pour faire se mouvoir les astres, Maurice Sand est aussi de ceux qui font de la marionnette un art majeur. Sa démarche n’est pas celle d’un artisan ni même d’un démiurge, d’un Gepetto régnant seul sur son petit monde. Des peintres, des auteurs, un menuisier, pour un temps Chopin au piano ont accompagné la vie de ce théâtre, même si George Sand reste au centre, taillant les costumes des marionnettes avec une “conscience d’archéologue” sur la base de recherches de “bénédictin”. Les mots, ici ceux d’Adolphe Badin (revue “Art”) sonnent curieusement… Les burattini et leur place dans l’œuvre de George Sand éclairent de façon inattendue, parfois paradoxale, la vie, le travail, les relations entre la mère et le fils.

Marionnettes en mains, Maurice Sand va présenter à des amis, des artistes, des journalistes, Balandard aux Enfers. Ils vont assister à une répétition, à une quête et Maurice deviendra, en jeu, Balandard parfois, Christian Waldo et bien d’autres encore, tandis que George Sand restera totalement présente… tant son absence pèse sur ce qui se joue !

Un comédien-marionnettiste joue le rôle de Maurice Sand. De grands personnages de mousse et latex dialoguent avec lui. Au centre d’un théâtre de tous les possibles, dans la réplique du castelet de Nohant avec des copies des marionnettes de Maurice Sand s’exprime avec verve dans le jeu et avec un grand sens de la répartie satirique un “théâtre toujours possible”.

Alain GUILLEMIN
30 janvier 2003



MAURICE
SAND,

UN
DILETTANTE ?

NON,
UN MARIONNETTISTE.

En écrivant à la fin de sa vie Le théâtre des marionnettes de Nohant, George Sand met en lumière le fil conducteur qui donne sa cohérence à l’action de son fils, Maurice Sand. On connaît sa réputation, dilettante, touche à tout. Il touche à la gravure, au dessin, à la peinture… A quarante ans, il devient auteur (Masques et bouffons) avant d’écrire pour le théâtre et aussi de produire nouvelles et romans. L’été, à Nohant, est consacré aux sciences, botanique, géologie, entomologie. On notera parmi ses publications en la matière un Catalogue raisonné des lépidoptères du Berry et de l’Auvergne.
Pour tout dire, Maurice Sand a un peu “brouillé son image”, comme on dirait aujourd’hui, passant, à ses débuts, d’un monde de jeunes artistes et de “rapins” à celui de l’élitisme des salons. Eugène Lambert s’est lié d’amitié avec Maurice dans l’atelier de Delacroix. En juin 1844, il vient passer un mois à Nohant… et y restera douze ans ! Maurice et Eugène jouent pour la première fois en 1847, cachés par le dos d’une chaise, un carton à dessin et une serviette avec “deux bûchettes à peine dégrossies et emmaillotées de chiffons”. Nous sommes, là, très près du jeu d’enfants. A l’opposé, Maurice animera, après la mort de sa mère, chez lui, un salon mondain où l’on se flattera d’être convié (où l’on regrettera de ne pas l’être, comme Lemercier de Neuville autre “marionnettiste de salon”). Le jeu de la marionnette y est devenu un art, appuyé sur la mise en oeuvre de moyens des plus sophistiqués. Tout le chic tient dans ce paradoxe : de grands hommes s’émerveillent devant ces “petites choses”. “Il est, en effet, difficile d’imaginer quelque chose de plus original que ces représentations intimes littéraires devant un parterre de grands hommes” (Alberty – 1882).

Laissons de côté les perfectionnements apportés à Nohant aux éclairages, aux “machineries”, tout cela est décrit avec la plus grande précision par George Sand (Le théâtre des marionnettes de Nohant), remarquons seulement quelques éléments très significatifs.

– La “chasse aux loups” : Il s’agit d’éviter ces moments où la scène reste vide après la sortie des deux marionnettes manipulables par le marionnettiste (ou les quatre quand Eugène Lambert, par exemple, joue avec lui). Il importe que les figurants n’aient pas l’air d’être des pendus, il faudra rapidement pouvoir leur donner un peu de vie, au moins au moment de leur réplique. On passera d’une marionnette accrochée par la tête à un piton à un personnage soutenu par une tige ou ressort capable de vibrer de façon convaincante pour donner l’illusion de la vie.

– Le réalisme : Dès lors que les personnages ne sont plus seulement les “characters” de la commedia dell’ arte, leur jeu repose, avant tout, sur une gestuelle bien plus parlante que les dialogues, la prestance en scène de la marionnette l’emportant sur sa manipulation. Les marionnettes vont avoir des épaules, une poitrine. Lorsque le “sac” qu’est la gaine n’est pas rempli par la main, le personnage gardera une vraie prestance. Et puis les femmes auront, enfin, de la poitrine … et des décolletés ! On sent que George Sand, qui défend les burattini contre les fantoccini, résiste à cette innovation de son fils et pas seulement parce qu’elle va devoir refaire les costumes de toute la troupe. A la discussion de l’époque sur le réalisme au théâtre, on aurait pu adjoindre celle sur le réalisme et les marionnettes. Il est vrai que le débat ne se menait peut être qu’entre une mère et son fils !

– La manipulation des bras : Les marionnettes à gaine ont des bras invraisemblablement irréalistes. Ils sont parfois constitués d’un manchon de cuir et leur raideur surprend tant ils sont artificiellement portés en avant, Il semble pour certains montreurs que l’index dans la tête, le pouce et le majeur dans les bras doivent flotter pour que la marionnette puisse se ganter à l’aise ; certaines marionnettes sont des charentaises confortables !
Lorsque les bras, à l’inverse, restent souples il faut que la main du manipulateur permette de tendre exactement la gaine pour qu’une main de marionnette soit calée au bout du pouce, l’autre au bout de l’index. La marionnette aura donc un bras plus court que l’autre. Si elle correspond à ma main droite, je ne peux la ganter en main gauche… ni la prêter à un autre manipulateur !

De 1847 à sa mort, Maurice Sand restera fidèle aux marionnettes. En cela il ne rejoint pas Christian Waldo, le héros de L’homme de neige, pour lequel les marionnettes sont “les instruments de la destinée” selon l’expression de George Sand… mais qui les quitte lorsque le problème de sa vie s’est dénoué. Pour Maurice, la marionnette n’est pas une étape de son apprentissage. Christian Waldo déclare “Nous allions (mon associé et moi) quitter le métier de bouffon et je me flattais d’avoir de quoi attendre un état plus sérieux” (L’homme de neige). Maurice Sand, toute sa vie, travaillera avec le plus grand sérieux et sera, semble-t-il, satisfait de voir des gens sérieux porter sur ces marionnettes, réputées futiles et faciles, des jugements enthousiastes. Pourtant lorsque des critiques affirment que le castelet de Nohant rendrait jaloux les directeurs des plus grands opéras, le compliment est à la fois sincère et ironique.

L’art de la marionnette a aussi ses dilettantes. Le dilettantisme est souvent favorisé par l’émerveillement naïf du spectateur, enfant ou adulte. Maurice Sand est peut-être un touche à tout… mais il met tout au service de la marionnette. Il est dans cet art, un bricoleur de génie, un auteur véritable si l’on veut bien lire ses pièces pour marionnettes comme des “canevas” capables de porter le jeu, l’image en mouvement, l’improvisation et la parole vive. Maurice n’est pas un dilettante dans le domaine de la marionnette, il apparaît même comme un remarquable perfectionniste.

Maurice Sand, avec ses talents divers, est avant tout un marionnettiste. Notre propos n’est pas de décrire, ici, chaque invention technique, chaque petite découverte mises en oeuvre dans le castelet de Nohant. Notons pourtant que les perfectionnements accompagnent une évolution qui part des quelques personnages classiques de la commedia dell’ arte pour aboutir à la constitution d’une troupe de 150 personnages. Ici ou là, Maurice Sand estime nécessaire de créer une nouvelle marionnette mieux à même de pouvoir tenir tel ou tel rôle. En vérité, entre les débuts, en 1847, et le moment où les marionnettes de Nohant prendrons leur place véritable, on passe d’un jeu qui côtoie celui des montreurs populaires à une forme de jeu littéraire. De ce point de vue, n’oublions pas que l’art de la marionnette est abusivement classé, bien souvent, dans le domaine de la culture populaire. Au XVIIIe siècle et au XIXe siècle, les marionnettes jouent dans la rue ou dans des salles d’estaminet mais dans le même temps, les auteurs de théâtre en butte aux privilèges de la Comédie Française sont joués par les théâtres de marionnettes des foires. Il n’est pas déraisonnable de se demander si Polichinelle, jouant de beaux textes avec l’élégance d’une marionnette à fils, est bien le même personnage que ce Polichinelle populaire, marionnette à gaine, jouant au coin des rues dans une langue et une gestuelle bien différentes.

Maurice Sand fera le choix de ne représenter que l’avant-bras de la marionnette, le bras n’étant figuré, dans ses personnages achevés de la dernière période, que par le travail de la couturière. La gestuelle cocasse de la marionnette va laisser place à l’élégance et au réalisme.

On comprend bien que ces perfectionnements techniques ne sont pas gratuits. Ils accompagnent le passage d’un théâtre dont les références sont celles du jeu populaire à une forme de théâtre de salon.

Les saltimbanques et les bouffons, les artistes populaires constituent la référence d’une époque aux alentours de 1848. Dans L’homme de neige, Christian Waldo est un saltimbanque pourchassé, proscrit et masqué. La marionnette va lui permettre de révéler ce que l’amnésie infantile a enseveli. Il entrera dans la bonne société en abandonnant le masque… et les marionnettes, ces autres masques ! Une situation reconnue, le mariage, la paternité amènent le saltimbanque à abandonner, avec son état, ces objets transitionnels, les marionnettes.

La marionnette ne permet pas à Maurice Sand de trouver incognito sa place dans la société. Le castelet n’est pas une cachette pour Maurice, contrairement à ce qu’il est pour Christian Waldo. Il est confortable, rassurant, maternel, il permet d’exister, de rassembler du beau monde. Il ouvre des portes, comme la mère en ouvrit à son fils. Entre les projections de Maurice dans tel ou tel personnage, son identification au sort de ce théâtre et la place prise par les marionnettes dans les relations entre les uns et les autres, on comprend bien que le maître jeu régnant sur son castelet construit une vision du monde plus, peut-être, qu’un petit monde. Laissons alors sonner comme une interrogation la phrase de George Sand, citée par André Maurois « Personne ne sait ce que je dois aux marionnettes de mon fils » (Lélia ou la vie de George Sand).


Coulisses du théâtre de marionnettes


 

“BALANDARD AUX ENFERS”:
DU CANEVAS À L’IMPROVISATION
ET COMMENT S’Y PRÉPARER


Dans L’homme de neige, George Sand décrit avec précision le travail de Christian Waldo se préparant à donner spectacle en adaptant un “canevas”, résumé de l’action, aux conditions et aux circonstances de la représentation du jour, avant que le jeu lui-même vienne achever cette fragile construction littéraire.

Le “canevas” au dialogue serré constitue la base de ce qui sera joué. Les circonstances, les nouvelles du jour, la relation avec le public, la verve du maître du jeu, la manipulation, parfois, vont faire éclore une oeuvre littéraire éphémère qu’il faudra faire refleurir le lendemain dans d’autres circonstances ; George Sand dans Le Théâtre de marionnettes de Nohant s’exprime avec la plus grande précision sur le rapport entre l’écrit et l’oralité dans le théâtre de marionnettes, à la lumière de l’expérience de son fils :

“Dans son castello, le maître du jeu de marionnettes a ses coudées franches. Il est seul responsable. il dit son propre texte et le modifie à chaque instant. S’il joue plusieurs fois la même pièce, il y ajoute des mots plaisants ou énergiques qui lui viennent ou supprime ceux qui n’ont pas porté aux représentations précédentes. Le propre de l’improvisateur est d’ailleurs de ne pas aimer à se répéter, et s’il se soumet au canevas, il éprouve le continuel besoin de changer le dialogue. C’est même le principal attrait de ce genre de spectacle sur lequel l’auditeur ne se blase pas. La forme littéraire propre aux marionnettes est donc le canevas écrit avec un dialogue élémentaire très rapide sur lequel le récitant peut broder. Quel est en dehors de la scène l’effet de ce travail à la lecture ? Nous avons voulu le savoir et il nous a paru très original. En resserrant davantage l’action, le texte nous a été agréable encore. Plus rapide et plus enlevé que celui qui passe par plusieurs bouches, ce dialogue concis qui fait contraste avec les développements de l’improvisation, apporte un mérite de plus au talent net et solide de l’auteur.”

Nous avons voulu essayer de donner une idée (en janvier 2003) de ce que le canevas de Balandard aux enfers aurait pu devenir si nous avions joué la pièce à cette date. A ce travail préparatoire serait venu s’ajouter ce que le jeu lui-même aurait fait naître dans son rapport au public, avec l’entrain éventuel de la manipulation ou selon l’humeur du moment. Voila, en caractères gras ce que nous aurions pu greffer, en janvier 2003, sur le canevas de Maurice Sand à trois extraits de Balandard aux enfers :

Premier tableau – Scène IV
Balandard, la Chimère

Balandar

Allons, je deviens fou ! Il ne manquait plus que ça!

La Chimère

N’as-tu pas fait tout ce que tu as pu pour le devenir? Tu m’as attirée par tes folies. J’aime les gens comme toi qui ne doutent de rien, qui vont de l’avant, sans réfléchir, qui se rient du convenu et de la bêtise humaine. Tu m’as toujours rendu un culte à ton insu peut-être mais j’aime les gens qui sont drôles et spirituels et savent m’apprécier. Enfin que veux-tu ? Je suis éprise de ton esprit, de ton organe enchanteur et je suis amoureuse de ton nez.

Balandard

Oh mon organe enchanteur, la flûte enchantée comme aurait Mozart… Quand à mon esprit.., je suis devenu tellement spirituel que mon cerveau est mon second organe favori !

La Chimère

Viens, donne-moi un baiser.

Balandard stupéfait

Mais, ma chère, vous avez la queue trop longue.

La Chimère

Ne suis-je pas belle ? Ne suis-je pas ton amie ?

Balandard

Sans doute, vous êtes jolie, originale. Vous êtes la belle et la bête ! Vous avez du chien, vous avez des yeux terribles, des lèvres à manger tous les coeurs, des cheveux ébouriffés ; j’aime ça, les cheveux ébouriffés. Quand les cheveux sont ébouriffés avant, on n’a pas de remord. Vous avez des formes rebondies que j’apprécie…

La Chimère

Je ne laisse rien tomber et pourtant ça rebondit. Alors du moment que je te plais, je ne suis point prude et je ferai toutes les avances.
Elle l’attire à elle et lui posant ses pattes sur les épaules, elle lui lèche le nez.

Balandard

Tu appelles ça un baiser, toi ? Mais c’est un coup de torchon, une lichade de chien. Attends ! Devine ce que je te fais.
Il l’a prend par les oreilles et lui donne un baiser.

La Chimère

Assez ! Tu me troubles. Je ne devine pas… tu te prends pour un sphinx. Parlons du poète Anacréon, dont ton ami Porel a besoin pour monter une pièce grecque au théâtre de l’Odéon. II n’y a qu’un moyen de trouver cet Anacréon, c’est d’aller le découvrir aux Enfers, où il doit être comme païen d’abord et comme poète fort léger ensuite. Monte sur ma croupe et partons pour le pays de la fantaisie.

Balandard

S’entendre proposer de découvrir la fantaisie en montant sur sa croupe, ça ne se refuse pas !

Troisième tableau – Scène III
Balandard, les démons, Pluton puis Caron

Balandard, à part

C’est ça le roi du pays? Il a une sale gueule!

Satanas, à Balandard

Ah ! Tu es encore là, flâneur! va donc à tes affaires.

Balandard

Elles sont là, mes affaires, au diable!
Balandard remonte.

Pluton

Eh bien ! Caron, le batelier des Enfers est-il enfin arrivé avec son chargement… et son pavillon de complaisance !

Lucifer

Oui, Sire, le voici !

Pluton

Arrivez donc ! Vous êtes toujours en retard. L’Achéron est noir, vous avez encore dégazé. Je vous attends depuis trois jours.

Caron

Que voulez-vous ? L’Achéron et le Cocyte sont presque à sec et la navigation est difficile, surtout à la rame, avec cette coque pourrie.

Pluton

Dites donc que vous vous amusez à boire tout le long du fleuve avec les damnés ; mais en voilà assez. J’ai fait établir un chemin de fer au-dessus des abîmes. il faut se tenir au courant de son siècle ? Ca rapporte bien davantage, ça nous amène beaucoup plus de monde. Ah la mondialisation ! ça va plus vite, ça ne boit pas, ça n’est pas à sec. li est vrai que j’ai plus de besogne ; mais je ne m’en plains pas. Et puis ne dit-on pas le diable et son train. Donc je supprime la navigation à la rame et je vous casse de votre emploi, voyou flottant !

Caron

Que vas-je devenir, alors ? Faites-moi une position, j’ai de la famille ! Où est le plan social ?

Pluton

Vous serez cantonnier sur la voie ferrée métropolitaine.

Caron

Ah ! Métro, boulot, dodo !

Pluton

Allez ! Et ne brutalisez pas les voyageurs.

Caron

Et ceux que j’amène, qu’en faire?

Pluton

Qu’enfer et damnation ! Qu’ils entrent ! Le droit d’asile territorial leur est accordé sans délai.
Caron sort.

Scène XI
Pluton, les trois Parques, les démons subalternes, les juges, Anacréon,
Satanas, Proserpine, Balandard, la Chimère

Eaque

Passons, passons. Est-ce vous, grande folle, qui avez introduit ici l’accusé?

La Chimère

Oui, gros cochon ! Je signe la mise en scène.

Minos

Et… dans quel but ?

La Chimère

Une fantaisie… Pour rire un instant et me moquer de Pluton même si ses fonctions le rendent juridiquement inattaquable et il a fait son temps, il ennuie son épouse Proserpine et il me semble aussi nul qu’inutile.

Les démons

Oui, la Chimère parle bien ! A bas Pluton, vive la Chimère !

Minos, aux juges

Messieurs, ça sent la révolution, consultons-nous.
Ils se consultent.

La Chimère

Pluton, au lieu de me recevoir dans ton empire avec les honneurs qui me sont dus, tu m’envoies des sales chiens pour m’empêcher d’entrer, tu me le payeras !

Les démons

Vive la Chimère ! Cerbère aboie, la Chimère passe.

Pluton, furieux

A la chaudière ! cette bête puante, ainsi que son protégé. Ce sont des libres penseurs, des importunistes, des droits de l’hommiste.

Balandard

Ah ! Il finit par m’agacer, le roi des Enfers a cotisé toute une éternité ! A la retraite tonton Pluton ! Proserpine, et si je lui flanquais une tripotée, m’en voudriez-vous?

Proserpine

Oh non, au contraire.

Balandard

Alors c’est moi qui vais te coller à la marmite. Chaud devant ! voilà Pluton flambé! Descendons le en flamme !

Les démons

Oui, oui, passez-nous-le, il y a assez longtemps qu’il nous embête. C’est un flagrant délit et un retour de flamme.

Balandard

Et moi qui croyais les Enfers un pays tranquille, c’est comme sur terre “C’est pas toujours les mêmes qu’auront l’assiette au beurre.” Pluton à la chaudière ! (Il prend Pluton qui résiste et l’envoie aux démons). A la chaudière ! Pilez-le, flambez-le avec les égards dus à une tête couronnée.
Pluton est enlevé par les démons et jeté dans la chaudière ; tonnerre, gong.