Je cherche à savoir si George Sand et Victor Hugo se sont rencontrés souvent. Je recherche également les références d'un tableau montrant Liszt au piano en compagnie de Hugo et Sand... Merci

Réponse de Sylvie Veys

Le tableau que vous mentionnez présente une réunion fictive des grandes personnalités du Romantisme : Alexandre Dumas Père, Victor Hugo, George Sand, Paganini et Rossini écoutent Liszt jouer. Marie d’Agoult est agenouillée près du piano. Ce tableau, intitulé Matinée bei Liszt, a été peint par Josef Danhauser en 1840. Il est exposé à la Nationalgalerie de Berlin.

 

Malgré leur importance dans le paysage littéraire du XIXe siècle, Sand et Hugo ne se sont jamais rencontrés. Quand George Sand a fait ses débuts sur la scène littéraire, d’abord avec Rose et Blanche, puis avec Indiana, le premier roman qu’elle écrit seule et signe de son pseudonyme, Hugo est déjà un auteur reconnu, chef de l’école nouvelle, encore tout auréolé du succès de Hernani. Pendant longtemps, Sand ne paraît pas très touchée par l’œuvre de Victor Hugo, même si elle reconnaît son importance. Sa référence à Notre-Dame de Paris dans son roman Horace (1842) témoigne de certaines réserves :

« Nous venions de lire dans sa nouveauté "Notre-Dame de Paris" ; nous nous abandonnions naïvement, comme tout le monde alors, ou du moins comme tous les jeunes gens, au charme de poésie répandu fraîchement par cette œuvre romantique sur les antiques beautés de notre capitale. C’était comme un coloris magique à travers lequel les souvenirs effacés se ravivaient ; et, grâce au poète, nous regardions le faîte de nos vieux édifices, nous en examinions les formes tranchées et les effets pittoresques avec des yeux que nos devanciers les étudiants de l’Empire et de la Restauration, n’avaient certainement pas eus. Horace était passionné pour Victor Hugo. Il en aimait avec fureur toutes les étrangetés, toutes les hardiesses. Je ne discutais point, quoique je ne fusse pas toujours de son avis. Mon goût et mon instinct me portaient vers une forme moins accidentée, vers une peinture aux couleurs moins âpres et aux ombres moins dures. » (SAND George, Horace, Michel Lévy Frères, paris, 1875, p.29.)

En 1845, Sand écrit un article sur la réception de Sainte-Beuve à l’Académie et s’y montre assez critique vis à vis de Hugo.
Il faudra attendre 1855 pour que Sand et Hugo rentrent en contact direct l’un avec l’autre, aussi curieux que cela puisse paraître. Cette année-là, Nini, la petite-fille de George Sand meurt, la plongeant dans le désespoir. Apprenant la nouvelle, Hugo, lui-même meurtri par la mort de sa fille Léopoldine en 1843, lui écrit :

« Voulez-vous permettre à quelqu’un qui vous admire et qui vous aime de prendre votre main dans les siennes et de vous dire que son cœur est à vous. Vos deuils sont les miens par la même raison qui a fait que vos succès sont mes bonheurs. » (Lettre de Victor Hugo à George Sand, 4 août 1855, citée par CARRERE Casimir, George Sand amoureuse, La Palatine, Paris-Genève,1967, p.407.)

Une correspondance amicale et révérencieuse s’engage entre eux, mais elle ne deviendra jamais familière. Dans leurs lettres, ils discutent art, littérature, politique et se font part des grands événements de leurs vies. Malgré des lettres déférentes, il semble que Sand n’ait jamais renié tout à fait ses restrictions au sujet des œuvres hugoliennes. En 1863, Sand écrivit un article dans La Presse, le 14 août 1863, au sujet du livre d’Adèle Hugo : « Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie » (George SAND, Questions d’art et de littérature, Paris, Des Femmes, 1991, pp.304-309.)
En 1866, George Sand annonce avec joie la naissance de sa chère petite-fille Aurore à Victor Hugo. Sur cette lettre reçue, Victor Hugo a écrit quelques vers (Correspondance, tome XIX, note de Georges Lubin, p.632) :

« A George Sand
Cette douce Aurore qui luit
Vient à point dans notre ciel sombre.
A nous deux nous sommes la nuit ;
Vous êtes l’astre et je suis l’ombre.
V.H., 17 janvier »

En 1872, ils faillirent se rencontrer à Paris, mais la rencontre n’eut pas lieu. Quand, en 1875, un projet d’édition complète de ses œuvres vu le jour, Sand pensa dédier à Hugo son roman Valentine, et prépara la dédicace suivante :

« A Victor Hugo. Ce n’est qu’une fleurette sauvage, cueillie dans la jeunesse. Laissez-moi la mettre dans l’ombre de l’arbre géant qui féconde et préserve, sous l’abri de la grande amitié qui bénit et encourage. - Nohant, juin 1875 » (Correspondance, tome XIII, Index des correspondants).

Cette édition ne verra jamais le jour, mais Victor Hugo eut connaissance de cette intention.
Lorsque Sand mourut en 1876, Victor Hugo écrivit un éloge funèbre (voir ci-dessous) qui fut lu à l’enterrement par Paul Meurice.

Notre amie Danièle Bahiaoui a préparé l’édition de la Correspondance George Sand - Victor Hugo, qui paraîtra en février 2004 chez HB éditions Forcalquier.

Elle a publié un article sur les relations de ces deux grands auteurs dans La Lettre d’Ars (http://www.pays-lachatre-berry.com/nohant/ars/lettre-ars/default.asp).


Eloge Funèbre de Victor Hugo à George Sand

« Je pleure une morte, et je salue une immortelle. Je l’ai aimée, je l’ai admirée, je l’ai vénérée ; aujourd’hui dans l’auguste sérénité de la mort, je la contemple. Je la félicite parce que ce qu’elle a fait est grand et je la remercie parce que ce qu’elle a fait est bon. Je me souviens d’un jour où je lui ai écrit : « Je vous remercie d’être une si grande âme ». Est-ce que nous l’avons perdue ? Non. Ces hautes figures disparaissent, mais ne s’évanouissent pas. Loin de là ; on pourrait presque dire qu’elles se réalisent. En devenant invisibles sous une forme, elles deviennent visibles sous l’autre. Transfiguration sublime. La forme humaine est une occultation. Elle masque le vrai visage divin qui est l’idée. George Sand était une idée ; elle est hors de la chair, la voilà libre ; elle est morte, la voilà vivante. Patuit dea.
George Sand a dans notre temps une place unique. D’autres sont les grands hommes ; elle est la grande femme. Dans ce siècle qui a pour loi d’achever la Révolution française et de commencer la révolution humaine, l’égalité des sexes faisant partie de l’égalité des hommes, une grande femme était nécessaire. Il fallait que la femme prouvât qu’elle peut avoir tous les dons virils sans rien perdre de ses dons angéliques ; être forte sans cesser d’être douce. George Sand est cette preuve. Il faut bien qu’il y ait quelqu’un qui honore la France, puisque tant d’autres la déshonorent. George Sand sera un des orgueils de notre siècle et de notre pays. Rien n’a manqué à cette femme pleine de gloire. Elle a été un grand cœur comme Barbès, un grand esprit comme Balzac, une grande âme comme Lamartine. Elle avait en elle la lyre. Dans cette époque où Garibaldi a fait des prodiges, elle a fait des chefs-d’œuvre. Ces chefs-d’œuvre, les énumérer est inutile. A quoi bon se faire le plagiaire de la mémoire publique ? Ce qui caractérise leur puissance, c’est leur bonté. George Sand était bonne ; aussi a-t-elle été haïe. L’admiration a une doublure, la haine, et l’enthousiasme a un revers, l’outrage. La haine et l’outrage prouvent pour, en voulant prouver contre. La huée est comptée par la postérité comme un bruit de gloire. Qui est couronné est lapidé. C’est une loi, et la bassesse des insultes prend mesure sur la grandeur des acclamations. Les êtres comme George Sand sont des bienfaiteurs publics. Ils passent, et à peine ont-ils passé que l’on voit à leur place, qui semblait vide, surgir une réalisation nouvelle du progrès. Chaque fois que meurt une de ces puissantes créatures humaines, nous entendons un immense bruit d’ailes ; quelque chose s’en va, quelque chose survient. La terre comme le ciel a ses éclipses ; mais, ici bas comme là-haut, la réapparition suit la disparition. Le flambeau qui était un homme ou une femme, et qui s’est éteint sous cette forme, se rallume sous la forme idée. Alors on s’aperçoit que ce qu’on croyait éteint est inextinguible. Ce flambeau rayonne plus que jamais ; il fait désormais partie de la civilisation ; il entre dans la vaste clarté humaine ; il s’y ajoute ; et le salubre vent des révolution l’agite, mais le fait croître ; car les mystérieux souffles qui éteignent les clartés fausses alimentent les vraies lumières. Le travailleur s’en est allé, mais son travail est fait. Edgard Quinet meurt, mais la philosophie souveraine sort de sa tombe, et, du haut de cette tombe, conseille les hommes. Michelet meurt, mais derrière lui se dresse l’histoire traçant l’itinéraire de l’avenir. George Sand meurt, mais elle nous lègue le droit de la femme puisant son évidence dans le génie de la femme. C’est ainsi que la révolution se complète. Pleurons les morts, mais constatons les avènements ; les faits définitifs surviennent, grâce à ces fiers esprits précurseurs. Toutes les vérités et toutes les justices sont en route vers nous, et c’est là le bruit d’ailes que nous entendons.
Acceptons ce que nous donnent en nous quittant nos morts illustres ; et, tournés vers l’avenir, saluons, sereins et pensifs, les grandes arrivées qu’annoncent ces grands départs. »

Victor Hugo.

Discours lu par M. Paul Meurice le 10 juin 1876 à Nohant, lors des obsèques de George Sand.

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