« GEORGES LUBIN (1904-2000), HOMME DE LETTRES, SPÉCIALISTE DE GEORGE SAND » PAR JEAN-LOUIS VERGEADE

Georges Lubin est né le 24 janvier 1904 à Ardentes (Indre) d’un père charron et d’une mère hôtelière.
Ardentes est une petite cité située à quatre lieues de Nohant où vécut George Sand. Déjà, sur un mur de la maison familiale le petit Georges peut voir un portrait de la Dame de Nohant.
A Ardentes, il fréquente l’école primaire et commence à lire les oeuvres berrichonnes de George Sand ; surtout il s’imprègne de sa province et de ses habitants.
A la rentrée d’Octobre 1914, il part poursuivre ses études secondaires au Lycée de Châteauroux où il obtiendra son baccalauréat en 1921. lI s’y révélera excellent élève, doué pour les lettres et les mathématiques. Au cours de sa scolarité, il sera fortement influencé par Jean Giraudoux qui fréquenta le lycée de Châteauroux vingt ans avant lui. Comme Giraudoux, il connaîtra le célèbre surveillant général Gédéon Duchateau évoqué dans les oeuvres de Giraudoux.
A seize ans, notre lycéen fonde une revue littéraire et poétique La Sandale à laquelle collaborent des professeurs, des auteurs régionaux et Joseph Delteil qui le prend en amitié.
Le jeune Lubin écrit des poèmes, il est couronné aux jeux floraux de Touraine en 1920 et 1921. Son père, gazé pendant la guerre de 1914-1918, meurt prématurément. Afin de pouvoir continuer ses études, il se résout à devenir maître d’internat puis professeur adjoint dans divers lycées et collèges (Châteauroux, Limoges, Parthenay, Rennes, Rouen) sans cesser de s’intéresser à la littérature et à la poésie. Il correspond avec Delteil, Montherlant, il publie des poèmes dans diverses revues (Le Gargaillou, Revue régionaliste, Le Verbe, Les Primaires…). Il publie des articles dans les journaux (Le Centre Républicain), les hebdomadaires (Marianne, Vendredi…)
En 1925 il publie un recueil intitulé À la gloire du Berry dédié « aux chères mémoires de George Sand et de Maurice Rollinat ». Il ne cessera de s’intéresser à ces deux auteurs.
Dès 1925 en effet, il donne ses premiers commentaires sur la correspondance Flaubert – George Sand et participe au Mémorial Maurice Rollinat publié par Le Gargaillou.
En 1926, il publie son premier roman. Le Vert Paradis, élogieusement préfacé par Joseph Delteil qui souligne le caractère “giraldien” de l’oeuvre, est à l’évidence très influencé par la découverte du jeune auteur des oeuvres de Giraudoux (Adorable Clio, Simon le pathétique, Elpénor…).
Déjà membre de l’Académie du Centre, il est admis à la Société des Gens de Lettres. En 1928 et 1929, il effectue son service militaire qu’il achève à Mayence, les troupes françaises occupant alors la Rhénanie. Il trouve le temps d’autant plus long qu’il a rencontré une jeune [et bien jolie] femme, Madeleine Lardy, fille d’un architecte de la Marine, dont il s’éprend rapidement. La jeune femme qui rentre d’Angleterre, où elle était répétitrice de français dans un collège, devient la collaboratrice de Louise Weiss qui lui confie le secrétariat de direction de L’Europe Nouvelle, hebdomadaire de politique étrangère qu’elle a fondé en 1918.
Pour retrouver Madeleine, Georges Lubin « monte » à Paris entamer une carrière dans la banque. Il entre à la Société Générale à laquelle il sera fidèle jusqu’à sa retraite. Il épouse Madeleine le 13 août 1931. Madeleine sera plus qu’une épouse, une collaboratrice précieuse, compétente et dévouée.
Tout en poursuivant sa carrière de banquier, Georges Lubin continue d’écrire et de publier. En 1934, La terre a soif ; en 1936 Changer de peau. Cette même année Madeleine quitte L’Europe Nouvelle pour devenir secrétaire de direction de l’Excelsior. Georges Lubin collabore toujours au Gargaillou auquel il livre régulièrement poèmes et articles (ex : Le Miracle de Gabriel Nigond). Il lui arrive même de polémiquer, ainsi en 1938 avec Paul Claudel à propos de Campagne de Raymonde Vincent qui a reçu le prix Fémina.
La guerre arrive il est mobilisé, il se bat, est fait prisonnier. Sa correspondance avec Madeleine est quotidienne. A son retour de captivité il rejoint la banque mais utilise aussi sa liberté retrouvée au service de la Résistance.
La guerre finie, il publie en 1948 L’inconnue d’Angoulème, nouvelle qui reçoit d’élogieuses critiques dont celle de Philippe Soupault. En 1949, une autre nouvelle s’intitule Une jolie attelée. La même année, il participe à L’hommage à Giraudoux publié à l’occasion de l’attribution au lycée de Châteauroux du nom de l’auteur de La folle de Chaillot.
En 1951, il donne Maxime Rasquin, roman sur la Résistance qui reçoit le prix des provinces du Centre. Pour ses petites filles, il écrit un livre de contes Michou.
Il est une des chevilles ouvrières de la rédaction du Mémorial du Centenaire du lycée Jean Giraudoux de Châteauroux, ouvrage publié en 1953 et couronné par le prix Monthyon décerné par l’Académie Française.
Alors qu’il a commencé ses premiers travaux sur la vie de George Sand, il apprend qu’André Maurois annonce qu’il va publier une biographie de la romancière. Il décide alors de publier la Correspondance de George Sand, estimant dès l’origine que l’entreprise nécessitera 24 ou 25 volumes. Dès lors, il va se consacrer principalement à cette tâche. Le premier tome des correspondances parait en 1964 aux Éditions Classiques Garnier.
Très vite ses travaux sont appréciés et couronnés par des prix (en 1965 Prix Le Métais attribué par l’Académie Française). Les tomes se succèdent. Toujours sur sa chère George Sand il publie deux ouvrages : George Sand en Berry, George Sand en Brenne.
Dans la prestigieuse collection de La Pléiade, il publie en deux tomes (1970 et 1972) les Oeuvres autobiographiques de George Sand complétées en 1973 par l’Album Sand dans la même collection.
Il travaille toujours sur Maurice Rollinat : en 1963, il est devenu Président des Amis de Maurice Rollinat et donne de nombreux articles dans le bulletin de cette association. Il multiplie les conférences, tant en France qu’à l’étranger, participe aux colloques, aux émissions de radio, de télévision, il préface de nombreux ouvrages.
En 1981, il devient Président de l’association des Amis de George Sand à la suite de Maurice Toesca (après en avoir été un des présidents d’honneur en 1976, le redevenant en 1998).
Le 14 décembre 1985 a lieu à la Sorbonne une « Journée George Sand – Hommage à George Lubin ». Le 19 mars 1986, il est fait officier des Arts et des lettres (il est également Chevalier de la Légion d’ Honneur).
En 1990, il publie le tome 24 de la Correspondance, non sans avoir connu des alertes, dès le Tome 10 en 1973 lorsque les difficultés de la maison d’édition Garnier menacèrent la poursuite de la publication (nouvelle menace en 1984, encore une fois surmontée). C’est cette année là que, pour clore sa célèbre émission Apostrophes Bernard Pivot le choisit comme invité d’honneur.
En 1991, ce sera le 25e tome, le dernier, dit de supplément (le dernier en fait sera celui de 1995 contenant une centaine de lettres).
En 1992, il se voit offrir, honneur réservé aux professeurs d’université, des Mélanges sur le thème Autour de George Sand.
En 1993, à Toronto il reçoit le prix Morion N Cohen Award décerné par The Modem Language Association of America qui regroupe quelques 3000 membres.
Madeleine (« Maddie »), sa femme et précieuse collaboratrice, est associée à cet hommage. Mais en 1996 Maddie disparaît laissant Georges Lubin brisé et las.
En novembre 1999, il vend sa bibliothèque, estimant devoir, écrit-il : “remettre mes trouvailles dans le circuit d’où je les avais extraites”.
Le 9 octobre 1999, il s’est néanmoins rendu au café théâtre de la Mare au Diable à Palaiseau pour assister à la représentation de La lune et les sabots, pièce tirée d’un livre d’Huguette Bouchardeau et dont il sortira conquis.
Sa santé se dégrade et le 13 février 2000 à 96 ans, George Lubin décède et avec lui 80 années consacrées aux Lettres. Ce travailleur acharné s’intitulait homme de lettres et, bien modestement, éditeur de la Correspondance de George Sand.
Jean-Louis VERGEADE, président de l’association des anciens élèves du lycée de Châteauroux