HOMMAGE DES JEUNES CHERCHEURS

Nombreux sont les jeunes chercheurs que leur travail sandien a conduits un jour quai Le Gallo, à Boulogne-Billancourt, chez Georges Lubin. Tous ceux qui, encore novices ou devenus plus émérites, se souviennent, témoignent d’un accueil aussi érudit que chaleureux : Georges Lubin aimait à partager son savoir et à encourager les nouvelles ardeurs en recherches sandiennes.

L’on garde tout particulièrement en mémoire le haut lieu de l’intronisation, le bureau, entièrement tapissé d’éditions rares et d’ouvrages critiques concernant aussi bien l’oeuvre de George Sand que celle d’autres grands noms du siècle romantique. Dans un angle de la pièce trônait le célèbre fichier : Georges Lubin expliquait volontiers que les jours de la vie de George Sand y étaient répertoriés un à un. Des fiches de couleurs différentes permettaient de savoir immédiatement si, au jour dit, G. Sand était à Paris, à Nohant ou bien en voyage et en quel pays. La constitution méthodique de ce fichier, bientôt consultable à l’Institut de France, avait accompagné la patiente mise au point de l’édition des volumes de la Correspondance.

Georges Lubin ouvrait facilement sa bibliothèque aux jeunes gens qui venaient le consulter. Il prêtait ses ouvrages, parfois les plus rares, allant même jusqu’à confier à certains émules des volumes paraphés de la main de Sand elle-même ! Combien de collectionneurs patentés auraient eu cette générosité ? Pour un jeune chercheur intimidé et reconnaissant, ce sont des gestes de confiance et de sympathie qui ne s’oublient pas. Comme ne s’oublie pas non plus la bienveillante aménité de celui qui laissait voir, pour peu qu’on en manifestât l’envie, les lettres autographes de George Sand, souriant devant les réactions ravies et émues de qui découvrait pour la première fois l’écriture authentique de son auteur d’élection. Georges Lubin n’était pas seulement un érudit disposé à partager généreusement ses connaissances et ses collections avec autrui : il était aussi un véritable humaniste.

Quoique vieillissant et souvent malade ces dernières années, Georges Lubin, l’on s’en souvient avec émotion, ne ménageait ni son temps ni ses efforts pour venir en aide à qui faisait appel à sa science : courtois, affable, passionné et passionnant, déplorant les failles d’une mémoire qu’il jugeait affaiblie mais que d’autres pouvaient considérer comme étant encore prodigieuse, riche en anecdotes sandiennes connues parfois de lui seul, il avait le verbe élégant, non dénué d’humour, et le charisme des grandes personnalités.

En définitive, on peut saluer l’œuvre de Georges Lubin, conquérant de l’univers sandien, par les mots mêmes que George Sand adressait à l’illustre Delacroix: «Vous avez gagné une bataille mémorable (…) Votre empire est fait, et ceux qui n’ont jamais douté de vous sont plus fiers de votre gloire que vous-même » (1).
Nathalie ABDELAZIZ

(1). G. Sand, Correspondance, Textes réunis, classés et annotés par G. Lubin, classiques Garnier, t. XI, p. 542 (janvier 1853).

«Le voyage à Boulogne»

Je fais partie d’une génération que la disparition de Georges Lubin laisse comme orpheline. Au début des années 70, George Sand n’avait pas bonne presse à l’Université. Trouver un directeur de Maîtrise ou de Thèse impliquait un véritable parcours du combattant. Des sourires affligés répondaient souvent aux sollicitations de l’étudiant qui prétendait perdre son temps à exhumer un écrivain mineur. Si en 1968, je me suis entêtée à refuser d’échanger George Sand contre Virgile, comme me le conseillait un professeur de Sorbonne, ce n’est pas seulement par sympathie pour George Sand : entre-temps, j‘avais découvert la magistrale édition de la Correspondance et, avec elle, une méthode de travail, une rigueur et une honnêteté intellectuelles qui n’ont jamais cessé de me servir de modèles. «Le voyage à Boulogne» que nous avons été si nombreux à faire tenait toujours ses promesses : la chaleur de l’accueil, la bienveillance et l’efficacité des conseils, qu’on venait y chercher, galvanisaient toutes les énergies. Grâce à Georges Lubin, je n’ai donc pas remplacé George Sand par Virgile : je les propose l’un et l’autre à mes élèves, année après année. Et c’est encore aujourd’hui sa présence exemplaire qui guide mes travaux, dans l’espoir qu’ils ne seront pas indignes des leçons que j ‘ai reçues de lui.
Marie-Paule RAMBEAU