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Max Bayard Indiana

INDIANA

C’est le cri du cœur d’un jeune narrateur encore naïf qui met en scène le drame larmoyant et néanmoins tumultueux de l’amour interdit entre un jeune aristocrate audacieux et la jeune épouse maladive d’un grand bourgeois industriel acariâtre, accompagnée d’une jeune soubrette importée de l’île Bourbon, île natale de la belle créole Indiana, aujourd’hui l’île de La Réunion.

Brassage de classes sociales typique de l’époque romantique sous le roi des Français au drapeau tricolore hérité de la Grande Révolution.

Une œuvre qui s’en prend à l’institution sacrée du mariage ?

Un peu mais surtout une méditation sur la soumission des femmes qui frise l’esclavage dans une société coincée, ce que soutient George Sand dans une préface tardive de 1842, après des leçons tirées de sa vie et de la fréquentation de grands esprits comme l’humaniste Michel de Bourges, l’abbé Lamennais et le socialiste Pierre Leroux.

A cet égard, elle est claire : « La cause que je défendais, c’est celle de la moitié du genre humain, celle du genre humain tout entier ; car le malheur de la femme entraîne celui de l’homme, comme celui de l’esclave entraîne celui du maître, et j’ai cherché à le montrer dans Indiana ». « Ceux qui m’ont lu sans prévention comprennent que j’ai écrit Indiana avec le sentiment non raisonné, il est vrai, mais profond et légitime, de l’injustice et de la barbarie des lois qui régissent l’existence de la femme dans le mariage, dans la famille et la société ». C’était la non reconnaissance du divorce et l’horrible poids de l’atavisme féminin. « Cette cause, je la défendrai tant qu’il me restera un souffle de vie ».

Mais sous l’aile de Dieu : « j’ai cédé à un instinct puissant de plainte et de reproche que Dieu avait mis en moi, Dieu qui ne fait rien d’inutile, pas même les plus petites causes aussi bien que les grandes ». Ce Dieu chrétien au nom duquel la société refusait le divorce sous prétexte que le mariage était un sacrement indissoluble, ce que certains archaïques croient encore ? Non, car George Sand n’était pas chrétienne. Son dieu était celui, généreux, rarement sévère, de Voltaire et de Victor Hugo.

Indiana, un livre à relire, témoin d’une époque et annonce d’une autre, la nôtre !

MON OPINION :

C’est le premier roman publié de George Sand en 1832, avec un vif succès, quand elle n’a encore que 27 ans.

Roman psychologique solidement ficelé avec adresse mais trop mouillé de larmes à la mode de l’époque romantique.

Roman social, moral et politique qui annonce la grande dame de 1848. Ainsi j’ai noté qu’elle se prononçait fermement contre la peine de mort qui ne sera abolie en France que 150 ans plus tard ; et que l’un de ses principaux personnages est républicain sous Louis Philippe.

Roman sur fond religieux : le narrateur-auteur règle ses comptes avec la religion catholique au profit du « Dieu de l’univers, le créateur, le soutien et l’espoir de toutes les créatures. Le vôtre a tout fait pour vous seuls ; le mien a fait toutes les espèces les unes pour les autres ». Mais l’aristocrate est plus radical (alors je pense à Sade) car soudain « il douta de ce Dieu qui le châtiait ; il aima mieux le nier que de se soumettre à ses arrêts. Il perdit toutes les illusions avec toutes les réalités de la vie ». Impossible conciliation du vice et de la vertu.

Beaucoup d’excellentes formules de langage et intelligentes d’un auteur prometteur qui d’ailleurs écrira une centaine d’ouvrages dont beaucoup de chef-d’ œuvres en 45 ans.

Pour moi, un bon roman est celui qui me captive, m’arrache de mes pensées subalternes trop quotidiennes et justement, bien que ne partageant pas du tout le milieu social du roman, loin de là, j’ai eu constamment plaisir et intérêt à tourner la page pour connaitre la suite… jusqu’aux drames nécessaires pour faire bonne mesure…suspense et romantisme de pacotille obligent.

La fin invraisemblable m’a déçu.

Indiana reste une grande œuvre actuelle par l’édition extrêmement savante, qui pourtant néglige dans la préface l’aspect religieux, de Béatrice Didier dans Folio classique 1604 de 1984 qui vient juste d’être rééditée, plus une Fiche sommaire de lecture de Natacha Cerf de 2013 chez Le Petit littéraire.

Remarquable opinion de George Sand sur son ouvrage dans sa lettre à Emile Regnault (étudiant en médecine, son confident et celui de son amant Jules Sandeau – d’où son nom de plume Sand) en date à Nohant du 27 février 1832 (Folio classique 4061, 2004/2015, Lettres d’une vie, choix et présentation de Thierry Bodin) où elle précise qu’il n’y aura pas de pages descriptives, « un luxe que je m’interdit sévèrement comme en dehors de mon sujet » qui « est de la vie ordinaire, c’est de la vraisemblance bourgeoise », quand à l’origine, Indiana s’appelait Noémi, moins exotique !

Le mari d’Indiana est un petit industriel florissant de la région parisienne dont toute la fortune repose sur un secret de fabrication et l’exclusivité d’un client unique à Anvers en Belgique.

Faillite soudaine de ce dernier qui ruine le mari.

Très intéressante observation sur le capitalisme moderne naissant des années 1830 en France déjà en voie de mondialisation, du moins d’européanisation ; puissant rebondissement intervenant à la mi roman. Marx surgira en 1848.

Trop de coups de théâtre ; le long monologue final serait intenable sur les planches. En contraste avec la première scène quasi muette du roman, du Becket avant terme, celui d’En attendant Godot. Je n’aime pas les quinze dernières pages que je trouve ridicules. Un éminent contemporain de l’œuvre a écrit : « le bonheur est de trop dans les dernières pages ». Dans l’ensemble, style coulant au fil de la plume.

Indiana, femme plus que soumise, esclave sexuelle volontaire des hommes ; un contre-exemple pour la jeunesse contemporaine ainsi avertie de ce sinistre danger.

Comme dernier mot, je remarque que George Sand mentionne une plantation possédée et gérée par ses personnages sur l’île Bourbon, une plantation de canne à sucre ou de café, sans rappeler qu’à cette époque, les milliers de travailleurs de ces plantations étaient des esclaves économiques, des Noirs arrachés dans les pires conditions du sol de l’Afrique de l’Est et de Madagascar.

Indiana est fort probablement la fille bien éduquée d’un planteur blanc esclavagiste de l’île de l’extrême fin du XVIIIème siècle.

La libération économique et sociale des Noirs n’interviendra qu’avec l’abolition tardive de l’esclavage en avril 1848…quand George Sand, la « communiste » bakouninienne, est proche durant quelque temps du Gouvernement provisoire de la Seconde République naissante et quand l’île Bourbon redevient définitivement l’île de la Réunion !

Max Bayard 26/12/19