Groupe International de Recherches Sandiennes
Journée détudes
et largent
Vendredi 16 mars 2007
UFR Lettres, Arts, Cinéma
Université Paris 7
Site Paris Rive-Gauche
« Grands Moulins »
Salle Pierre Albouy
6e étage, Salle 689 C
75013-Paris
George Sand et largent
Comité scientifique :
José-Luis Diaz, Claudine Grossir, Michèle Hecquet, Jean-Yves Mollier, Nicole Mozet, Michelle Perrot, Christine Planté, Marie-Ève Thérenty.
La pensée sociale de George Sand a déjà fait lobjet de nombreuses études, mais rares sont celles qui sintéressent directement à la question de largent : luvre romanesque, au contraire de celle de Balzac ou de Zola, ne lui a pas, semble-t-il, accordé une place centrale. Des réticences idéologiques – le socialisme de George Sand est perçu comme plus idéaliste et social quéconomique, sa qualité de femme lui dénie toute compétence dans le domaine financier – expliquent cette apparente discrétion. Lambivalence des discours de lécrivaine à ce sujet, oscillant entre défense de ses intérêts, mépris et libéralités contribue à brouiller les pistes et à accréditer les préjugés.
Lobjet de ces journées détude est donc de combler cette lacune et denvisager cette question, tant dans luvre romanesque, autobiographique, que les articles ou la correspondance.
Un premier éclairage porte sur lexpérience personnelle de la gestion financière de George Sand qui intéresse lhistorien de la littérature : les relations avec les éditeurs Buloz, Lévy, Hetzel en particulier, avec les directeurs de théâtre, les contrats, permettent de cerner lévolution des revenus de lactivité intellectuelle de George Sand, laccélération au cours du siècle de la marchandisation du livre, les liens qui unissent roman et théâtre dans la vie culturelle du Second Empire ; la gestion des propriétés familiales, de Nohant en particulier, permet dobserver comment sarticulent questions dargent et relations familiales, particulièrement lors des périodes de crises : argent et propriété sont ici au cur de questions didentité, de possession et de dépossession de soi, qui confèrent aux biens bien plus quune valeur marchande ; largent enfin chez George Sand entre dans une économie communautaire dont elle est une inlassable pourvoyeuse : ses bénéficiaires (Pierre Leroux, Agricol Perdiguier et bien dautres) mais aussi ses bailleurs de fonds (Victor Borie par exemple) forment une communauté mouvante fondée en partie sur la circulation de largent.
Un second axe de travail cherche à montrer comment sous la forme de la dot, de lhéritage, de la gestion du patrimoine, des pensions, des dettes et des emprunts, de la ruine, largent se trouve au cur de lorganisation et des relations matrimoniales et familiales proposées dans les romans, et offre ainsi, une image des fondements et du fonctionnement de la société au XIXe siècle : léconomie familiale nest jamais sans rapport avec un modèle économique et social (Le Meunier dAngibault, Nanon) façonné aussi par les revenus du travail, domestique, ouvrier, artistique. Les romans cherchent alors à promouvoir un bon usage de la richesse, qui condamne aussi bien lavarice que lusure et la spéculation, recycle éventuellement largent acquis frauduleusement et permet de proposer un contre-modèle à lessor du capitalisme (Le Péché de Monsieur Antoine, La Ville noire). La redistribution de la fortune dans la société post-révolutionnaire affecte tout particulièrement les femmes : leur paupérisation ou leur enrichissement contribuent à leur émancipation sociale. Les trajectoires de personnages dessinent un nouveau paysage économique générateur de mutations sociales : la valeur de largent nest jamais posée comme une valeur en soi, mais inscrite dans une perspective dynamique.
Un troisième champ de réflexion sintéresse aux relations que le discours théorique de George Sand sur largent, tel quon peut le lire par exemple dans les articles politiques publiés dans LÉclaireur de lIndre sous la plume du personnage de Blaise Bonnin, ou dans les Bulletins de la République écrits en 1848, et tel quon peut le reconstruire à partir des romans, entretient avec les systèmes de pensée de son temps. Un regard sur les articles économiques de la Revue des Deux Mondes, de lEncyclopédie nouvelle, par exemple, et sur les travaux des économistes de la première moitié du XIXe siècle permettrait déclairer le contexte dans lequel sinscrit le propos de George Sand et de comprendre comment se construit progressivement sa propre vision de léconomie politique.
Programme
14h Accueil des participants
1 Léconomie domestique en fiction
Présidence : Claudine Grossir
14h30-15h: Claire Le Guillou
« La famille de Germandre ou le roman de lhéritage »
15h-15h30: Simone Balazard
« De quoi vivent-elles ? » (sur Indiana, Isidora, Flavie, Francia)
15h30-16h: Discussion
2 Léconomie socio-politique entre fiction et réalité
Présidence : Michelle Perrot
16h-16h30: Romain Piana
« Le Plutus de George Sand : une allégorie socio-économique »
16h30-17h: Marie-Claire Vallois
« Fanchette (1843) : réflexions sandiennes entre léconomie politique et la fiction pastorale »
17h-17h30: Discussion
17h30-17h45: Conclusion
et « Pot » amical
Résumé des communications
Claire Le Guillou , « La famille de Germandre ou le roman de lhéritage »
Le thème de lhéritage est récurrent dans luvre sandienne et savère très protéiforme. Lhéritage est un moteur romanesque, un ressort dramatique, et même un deus ex machina.
Cette manne financière, espérée ou non, voire convoitée, permet lépanouissement artistique dans Le Château des Désertes, le bonheur social dans La Ville noire, ou bien encore le bonheur familial dans La Tour de Percemont et Antonia. Mais, le roman de George Sand dont lintrigue sarticule entièrement sur cette thématique est La Famille de Germandre.
Suite au décès du Comte de Germandre, tous ses héritiers se retrouvent dans son château pour assister à la lecture de son testament. De manière classique, ce huis clos familial permet à George Sand de brosse une peinture sociale de laristocratie. De manière tout aussi classique, ce problème dhéritage et de niveau de fortune conditionnent les projets matrimoniaux de ce roman. Néanmoins, ce roman est selon nous particulièrement original. Lhéritage y est présenté comme une réelle épreuve initiatique. Hériter est synonyme de passer lépreuve du Sphynx, de percer le secret du vieux comte. Ici, hériter ne demande plus seulement des vertus morales, mais aussi des compétences intellectuelles. Lhéritier sera donc celui qui sera lheureux possesseur dune solide connaissance du passé, porteur dun héritage «archéologique ». De ce fait, lhéritage nest plus perçu comme un moment de rupture, mais comme une continuité familiale et historique.
Nous nous proposons détudier ce roman au regard des quelques pistes évoquées ci-dessus.
Simone Balazard, « De quoi vivent-elles ? »
En suivant la trajectoire de quatre héroïnes éponymes (Indiana, Isidora, Flavie, Francia), nous allons nous poser cette simple question en tenant compte de deux paramètres : la date de parution du livre correspondant, et la date de laction.
Les quatre romans ont été choisis selon deux critères : porter le prénom de lhéroïne, couvrir à peu près toute la production de lauteure ( 1832-1845-1858-1871).
Du premier roman signé par George Sand (Indiana) au saisissant portrait dun Paris sous la botte russe (Francia) en passant par les deux romans intrigants que sont Isidora (plutôt sombre) et Flavie (plutôt gai), nous allons tenter de clarifier le rapport de ces femmes à largent (source, usage, dépendance ou liberté).
Romain Piana : « Le Plutus de George Sand, une allégorie socio-économique »
Cette communication se propose de lire l« étude daprès le théâtre antique » que George Sand publie dans la Revue des deux mondes en 1863 comme lesquisse dune théorie déconomie politique, présentée sous la forme didactique dune allégorie dramatique. En adaptant la dernière pièce conservée dAristophane, dont lallégorie de la richesse constitue le personnage éponyme, Sand sempare dun texte mis au premier plan lors des bouleversements politiques de la Seconde République, et considéré, selon les camps, comme une réfutation anticipée des théories socialistes ou comme une « protestation contre linégale répartition des biens « (Fallex). La communication proposée voudrait montrer que la récriture sandienne vise à donner une cohérence doctrinale à la « leçon » ambiguë de lhypotexte grec : la reconfiguration du système des personnages (expansion de la figure de Mercure, entre autres), les transpositions pragmatiques (intrigue matrimoniale, catastrophes économiques ) aboutissent à proposer limage dun microcosme socio-économique à lépreuve de la « question dargent ». La réélaboration de la figure de Plutus participe ainsi dune redéfinition émancipatrice des rapports entre capital, travail et production dans lequel la place de largent se verrait réduite à sa simple valeur déchange.
Marie Claire Vallois : « Fanchette (1843): réflexions sandiennes entre léconomie politique et la fiction pastorale »
Fanchette (1843) a été une publication sandienne peu commentée du point de vue textuel et idéologique, tout au moins jusquà sa redécouverte et son analyse par Michelle Perrot dans les deux ouvrages, Politique et polémiques (Imprimerie nationale,1997) et Les Femmes ou les silences de lhistoire (Flammarion,1998). Ce curieux texte nous semble symptomatique, par son sujet et par son écriture, dun moment de déchirement inaugural dans luvre sandienne entre écriture journalistique et écriture romanesque. Il sagit dun texte pluriel (sans nom dauteur proprement dit) et bâtard à plus dun point de vue, qui se trouve intitulé, pour la publication en brochure libre en 1843, du nom de lavictime, sujet, objet et héroïne dufait divers: Fanchette. Cette brochure, composée dune série de six lettres, les unes fictives (Lettre de Blaise Bonin à Claude Germain), les autres authentiques (lettres de George Sand, lettre du procureur du Roi à la Châtre) constitue comme un rapport denquête dont le propos est la disparition dune fillette orpheline (un premier champi) dans larrondissement de La Châtre. La publication par George Sand de la « Lettre de Blaise Bonin à Claude Germain», paysans fictifs, accompagnée de la suite de la correspondance effective afférente, découvre dans l« histoire dun enfant perdu » une réelle « affaire criminelle» due à la gestion de léconomie politique intéressée des fonctionnaires des villages et des villes environnant Montgivret, près de La Châtre, pour le profit des autorités locales et départementales de lIndre. Dialogue de presse sans suite publié par extraits dans la presse provinciale, diront certains. Virulent débat journalistique avec les autorités administratives, diront dautres. Sand prend sciemment à partie les représentants du pouvoir dans La Revue Indépendante, journal quelle a crée dans un but délibérément polémique en 1841 avec Leroux et Viardot. Laffaire qui prend un moment tournure daccusation des autorités locales se termine par un «non lieu» juridique au niveau administratif. Lensemble des textes qui constituent la brochure ressemble étrangement cependant au rassemblement de pièces pour linstruction dun procès dun autre ordre, celui qui se trouve ainsi livré à lopinion publique. Au procès judiciaire non advenu est substitué, grâce à la journaliste, une publication qui devient le lieu de la mise en écriture dun débat public mettant en scène accusés, juges et témoins. La journaliste Sand rendra, de cette façon, autrement public, un second verdict. Ce verdict inaugural de lâge de la presse moderne annonce une nouvelle justice démocratique, régénérée par les valeurs de la pastorale évangélique du christianisme primitif (inspirée par Pierre Leroux et ses disciples.) Se trouve alors introduit et convoqué, sur la scène de la petite histoire des faits divers locaux, comme sur les scènes parallèles de lHistoire et du roman pastoral, ce nouvel acteur de lâge moderne: lArgent.
Groupe International de Recherches Sandiennes
Journées détudes
et largent
Seconde session : 1er et 2 février 2008