La Compagnie
Marion Mirbeau
présente

George Sand

Gabriel

adaptation et
mise en scène
de Marion Mirbeau

Une œuvre gênante, une pièce mise à l’écart

George Sand écrit Gabriel à Marseille en avril 1839, à son retour du célèbre voyage à Majorque avec Chopin. Aux mois de juillet et août de la même année, ce  » roman dialogué  » est publié dans La revue des deux mondes. Gabriel s’inscrit dans les oeuvres où se révèle l’engagement féministe de George Sand, elle écrit à François Buloz :  » J’espère que ce roman malgré sa forme ne vous paraîtra ni philosophique, ni mystique, ni même dramatique, mais tout si mplement romanesque et reposera vos lecteurs de ma métaphysique ». La prudence est de rigueur, mais elle n’abandonne pas pour autant ses idées, George Sand se confie à Mme Marliani en ces termes :  » Ce roman lui réjouira le cœur car la philosophie et le mysticisme, les deux grandes pestes de Buloz, y sont assez déguisés pour ne pas l’effaroucher « . L’analyse de la condition féminine dans Gabriel lui tient à coeur, c’est pour cela que George Sand  » déguise  » ses revendications, pour être publié et donc lu. Afin de ne pas choquer, elle situe son oeuvre dans un temps et un monde imprécis, et elle place ses propos à l’intérieur d’un vrai mélodrame ; mais cette dissimulation ne dénature et n’atténue en rien sa pensée.
De 1851 à 1855, George Sand essaiera par tous les moyens de faire jouer Gabriel sur une scène parisienne, mais la pièce sera partout refusée, tous les prétextes sont bons pour éloigner le projet des théâtres. George Sand, dans le souci de présenter Gabriel au public, entrera dans une longue période de remaniements multiples pour rendre le texte acceptable, mais en vain. Est-ce à cause de la longueur de la pièce, de la multitude de personnages et de lieux, des comédiens récalcitrants, du propos féministe ou de ses fréquentations socialistes ?… Du vivant de George Sand, Gabriel ne sera pas jouée dans un théâtre public. Balzac s’en étonne :  » Je viens de lire pour la première fois « Gabriel » et je suis dans le ravissement, c’est une pièce de Shakespeare, et je ne comprends pas que vous n’avez mis cela la scène « .
Il est évident que malgré toutes les précautions prises par George Sand, le sujet de Gabriel est sensible pour l’époque : le Prince Jules de Bramante, grand-père tout-puissant détenteur des titres et des richesses de la famille, veut déshériter la branche cadette représentée par un petit-fils, Astolphe. Mais du côté de la branche aînée, c’est une fille qui est venue au monde. Jules de Bramante décide alors d’aller à l’encontre des règles d’héritage dans la lignée masculine. Il fait croire à la naissance d’un descendant, cache la fillette, la baptise Gabriel et la fait élever comme un garçon. Gabriel recevra donc l’éducation intellectuelle et physique réservée aux hommes ; on lui inculquera  » la grandeur du rôle masculin et l’abjection du rôle féminin dans la nature et dans la société « . A ses dix-sept ans, Gabriel apprend la vérité de la bouche de son grand-père ; ce dernier la menace du cloître si elle refuse de porter le terrible secret toute sa vie. Gabriel, pour se venger des manigances du vieux Jules, décide alors de rechercher son cousin Astophe, afin de devenir son ami et de partager l’héritage. Les deux jeunes gens tomberont amoureux l’un de l’autre, mais les obstacles insurmontables empêcheront leur bonheur. La fin sera tragique.
Dans ce drame, George Sand dénonce l’humiliation que les femmes subissent, elle démontre que l’homme et la femme sont intellectuellement égaux lorsqu’on permet à cette dernière l’accès à l’instruction, enfin, elle révèle l’impossibilité pour la femme affranchie de vivre l’amour et l’affection. Gabriel/George, la femme affranchie, dut effrayer bien des directeurs de théâtre.

La scène

Le texte
Si George Sand est obligée de  » déguiser sa pensée  » dans une société régit par le Code Napoléon, qu’en est-il aujourd’hui ? Un siècle et demi s’est écoulé depuis la publication de Gabriel, le public contemporain est en mesure d’entendre le propos de George Sand, il n’est plus besoin de le dissimuler.
L’intérêt de porter Gabriel à la scène, aujourd’hui, pourrait se situer par rapport au contexte historique de l’œuvre ; mais, ici, la motivation est ailleurs. Le choix est de présenter ce que le discours philosophique de George Sand a d’actuel.
Pour cela, il faut aller à l’essentiel, ôter certaines scènes, libérer l’oeuvre des flatteries destinées au public du XIXe siècle et atteindre, ainsi, à une forme de dialogue philosophique, proche du roman Lélia et sorte de concentré des idées de George Sand.
Il ne s’agit aucunement de dénaturer le texte, ni d’en faire une quelconque adaptation ; il s’agit, plutôt d’affirmer un point de vue dramaturgique philosophique et féminin : celui de l’auteur.

La chorégraphie
Le personnage de Gabriel se vit homme dans un corps de femme, et femme dans des vêtements d’homme. Le regard que portera l’être aimé (son cousin Astolphe) sur cette ambiguïté sexuelle, sera la cause de la tragédie de Gabriel. Le grand-père manipulateur est bien sûr à l’origine de tout ; mais sa présence est surtout nécessaire à la création de cet être hors du commun, libre et unique, qu’est Gabriel ; et à la fin, il est là pour le faire disparaître dans la mort. Gabriel(le) brave toutes les situations sociales, qu’il soit homme ou femme, mais elle reste impuissante face à son histoire d’amour ; c’est la relation intime impossible qui tisse ce drame.
Les bouleversements intérieurs et extérieurs que subit Gabriel, les chocs émotionnels et affectifs qui jalonnent sa courte vie, le va et vient continuel entre le corps et l’âme, nécessitent une vision plus pénétrante que celle de l’œil humain. Pour établir ce mouvement de l’extérieur vers l’intérieur, du macroscopique au microscopique, l’image cinématographique s’impose car la caméra va là où l’œil du spectateur ne peut pénétrer: à l’intérieur du corps humain.
Intégrée comme élément scénographique, l’image fouille la tragédie jusque dans nos cellules : elle voyage autour et dans le corps humain ; un corps tantôt médical, tantôt sexuel, tantôt émotionnel. L’image est chorégraphique et la chorégraphie est chirurgicale.

L’espace sonore
De même que le texte et l’image, les éléments sonores, perceptibles ou imperceptibles, s’inscrivent dans l’interaction entre le physique et le mystique. Sorte de ponctuation des émotions, le son est la résonance de l’histoire d’amour entre Gabriel et Astolphe. La tragédie s’entend et ses bruits agitent les cellules des spectateurs.
Afin de suivre le mouvement entre substance matérielle et immatérielle, l’espace sonore se compose de deux types de sons. D’une part, les sons objectifs, produits par les corps des acteurs sur le plateau et puisés dans le corps humain (craquements, gargouillis, battements … ). D’autre part, les sons subjectifs, fabriqués, créés par l’esprit humain ils évoquent la musique de l’âme.
Le texte, l’image chorégraphique et l’espace sonore s’unissent dans l’action scénique : l’acteur glisse du plateau à l’écran, l’image d’un regard pivote vers le nerf optique, la voix s’engouffre dans le battement d’un cœur…